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CLITEROS

FRAGILITÉ,CONFORMISME, HONTE, POUVOIR ET CLITORIS. Voilà plusieurs mois déjà, je décide de faire une série de Clitoris. Déjà vu ? Tout le monde en parle ? La représentation anatomique du Clitoris est désormais affichée dans les manuels anatomiques et dans la rue s’exhibent parfois quelques Clito tagués. Alors pourquoi en faire plus ? Il en faut 69 comme symbolique de l’érotisme, comme le yin et le yang. Comme un symbole d’équilibre, comme la vie et la mort. Plus 4, comme toute la violence1 FRAGILITÉ,CONFORMISME, HONTE, POUVOIR ET CLITORIS.

Voilà plusieurs mois déjà, je décide de faire une série de Clitoris.

Déjà vu ?
Tout le monde en parle ?

La représentation anatomique du Clitoris est désormais affichée dans les manuels anatomiques et dans la rue s’exhibent parfois quelques Clito tagués.

Alors pourquoi en faire plus ?

Il en faut 69 comme symbolique de l’érotisme, comme le yin et le yang. Comme un symbole d’équilibre, comme la vie et la mort.

Plus 4, comme toute la violence faite contre cet organe, qui intrigue les uns et fait peur aux autres. Comme les 4 formes d’excisions.

Le Clitoris est symbole de paix pour moi et obscène pour d’autrui.

Du réchauffé ? NON

Au début, c’est la révolte contre l’excision mais aujourd’hui cette certitude artistique vole en éclats.
Qui suis-je pour parler de l’excision ?

Qui suis-je pour parler du Clitoris ?

Juste une artiste en quête d’Être(s).

Laisser une trace.
Au fond, cet Art est une expression des voix tues.

Une quête à la manière de Frodon qui, torturé progressivement par l’anneau de pouvoir, ne veux plus le détruire, mais s’il ne le fait pas personne ne le pourra.

Cette Série est une ascension de la montagne du destin.

Nous sommes toutes et tous excisés.

Cette affirmation peut faire hurler des générations de femmes et de fillettes mutilées et je leur demande pardon de ne pouvoir m’exprimer de meilleure façon.

Ce que je veux dire, c’est que l’excision, physique ou mentale, perdure malgré les tentatives de lutte et d’explication.

Elle est transmise et admise par répétitions, traditions, exclusions (volontaire ou involontaire) des hommes.
S’ils sont « Hommes », ils sont tout autant concernés par le Clitoris que par leur Pénis, cela concerne leur mère, leur sœur, leur fille et leur être.
Et les hommes peuvent tout à fait imaginer la violence que représente la castration.

C’est tellement violent que lorsque j’ai expliqué à mon petit garçon ce que c’était, il n’y a pas cru.
« Pourquoi ? C’est n’importe quoi ! C’est débile. »

Le bon sens quitte progressivement les mémoires au profit du pouvoir ?

L'HISTOIRE VRAIE ?

Je vais te la raconter.

Un garçon manqué de 10 ou 11 ans arrive dans cette fameuse classe angoissante, là ou l’on commence à quitter l’enfance pour rentrer violemment dans un monde pré-adulte.

Tu as deviné, vive la 6ème et le garçon manqué c’est moi.

Le couple des parents est en train d’imploser, je refuse la robe sauf le dimanche où elle m’est imposée.

Je veux des copains et les filles me trouvent bizarre. Les garçons aussi d’ailleurs.

La solitude m’accompagne à chaque minute. Et j’ai l’impression de n’être jamais là.

Élève docile et moyenne en tout. Un peu trop sensible.

À l’école, on m’a déjà parlé de l’excision. Impuissante et horrifiée pendant plusieurs jours par ce fait, je l’ai mis aux oubliettes.

À l’école, dans la cour et à la maison :
« Tu parles trop fort, tes cheveux sont hirsutes, tes dents sont de travers, tu as pris le soleil au travers d’une passoire, tiens-toi tranquille, comment va la crevette ? »

La crevette nage très bien, elle respire sous l’eau et se nourrit des déchets.

C’est l’époque où grand frérot se rebelle contre un patriarcat ancré à coup de fessées , où la frangine promise à sa carrière vétérinaire tombe enceinte l’année de son BAC.

L’époque où l’on jouait dehors, mangeait à nos risques et périls des pommes acides (ou à cidre ?) cueillies directement sur les arbres.

L’époque où, péniblement, j’arrivais à avoir quelques copains.

Lui était populaire, et m’invite à jouer chez lui, mais « il faut pas trop le dire aux autres de la classe. »

« T’es pas vraiment une fille, plutôt un genre de copain, viens chez moi je vais te montrer ma Gameboy »

Ben oui, c’était pas la Game-Girl, hein !

Chez lui, c’est la famille unie avec une maison ou chacun a sa chambre.

On mange des super goûters au chocolat, et on joue à se déguiser en Cowboy, à la Gameboy en mangeant des bonbons acidulés en forme de soucoupe volante.

Des fois, il y a aussi son meilleur copain.

Et la troisième fois.

La troisième fois, j’ai perdu mon « consentement », aveuglée par cette volonté d’intégration, enfin être avec la bande des cools.
Je voulais que cet après-midi ne s’arrête jamais parce que j’étais loin de tout conflit parental, loin de la grossesse de ma sœur, loin des punitions de mon frère.

La troisième fois je me suis retrouvé nue sur le lit.

Pendant que l’un me tient les bras, l’autre essaye ses doigts.

Moi, j’avais encore jamais essayé.
On m’avait dit qu’avec ça j’irai en enfer ou j’attraperais un bébé dans mon corps.

Il a peut-être le droit lui ?
J’ai cru bien faire de me taire et laisser faire. Ça allait forcément s’arrêter vite fait. J’avoue qu’aujourd’hui, je n’admets toujours pas comment je me suis retrouvée là !

Je n’osais même plus bouger ou dire quelque chose.
La Gamegirl avait un bug.

Et comme les doigts de chacun étaient finalement bien passés, c’est la règle en Fer, celle qui est carrée, glaciale ; autoritaire.

J’ai commencé à pleurer, tout bas.
« Qu’est-ce que tu as ? »

Ils ont lâché, et sont sortis de la pièce.
J’ai remis mes vêtements et suis partie en courant.

Honte. C’est moi qui ai provoqué l’affront !

Honte sur moi qui a accepté ça !

Honte ! Ensevelis-moi, qu’est-ce que j’ai fait ?

Oubli.
Oublie et n’en parle jamais.

Qui va écouter quelque chose d’aussi sale et dégoûtant ?

Respire sous l’eau et nourrit toi de ce qui reste, la crevette !


L'OUBLI ET LA RÉPÉTITION

Ça aurait pu me revenir avant :
• Quand je me révulsais au moindre doigté médical de grossesse, au moindre frottis.

• À l’introduction du spéculum glacial en fer, autoritaire, je me noie dans la honte mais j’ai oublié.

• Le jour de la crise de larmes, de douleur et de honte quand le gynéco post grossesse me fait une échographie en brandissant une espèce de phallus électronique dont j’ignorais l’existence.

Je n’avais pas compris qu’on pouvait faire une échographie par l’intérieur.
Il a beaucoup agité son instrument et m’a dit que j’étais douillette.

Le pouvoir gynécologique.
Honte de mon ignorance, honte d’accepter ses examens sans broncher, honte de la douleur.

Mais la règle en fer n’est pas revenue en surface.

J’ai oublié jusqu’à la répétition, cette sournoise ne veut pas oublier.
Elle se transmet sur la génération d’après.

J’ai oublié jusqu’au jour où ... ILS m’ont tout raconté.

Ils ont été abusés. ON avait fait croire qu'ON avait le pouvoir.

LE DÉSIR OU LE POUVOIR D'ÊTRE.

Tout ça n’est pas une affaire de touche pipi mais de pouvoir des uns sur les autres.

Alors à 40 ans, pas étonnant, je suis prise de frénésie de Clitoris comme pour hurler :

JE NE SUIS PAS UN TROU et JE NE SUIS PAS SEULE !
Quel soulagement !

Au 21ème siècle, la vie m’amène en Côte d’Ivoire.
Retour de mémoire, l’excision existe encore bel et bien !

L’excision est la négation d’un organe bien réel, qui ne serait là que pour alimenter le plaisir.

Entre Plaisir et Désir, il n’y a qu’un pas.

Une femme qui ressent du plaisir et du désir serait donc dangereuse, obscène parce que libre de jouir de son consentement.

Une femme qui désire. Comme un homme ?

Une femme qui est, une femme qui désire être. Comme un homme.
J’ai 40 ans.

Cet âge symbolique de l’ultra-femme m’ouvre sur une volonté farouche :
Je ne renterai dans aucune case, car me soumettre à une définition revient à jeter mon consentement comme auparavant.

Des corps, mon corps, ton corps, l’organe ; le mien ; le tien, ils sont pareils et différents, ils sont vivants.

Le Clitoris, c’est celui qu’on n’a jamais vu, jamais touché, jamais identifié.

Il existe même absent, même coupé.

Je dois dire que lorsque j’ai découvert qu’il n’était pas seulement le petit bouton caché, et que j’ai vu sa vraie forme, j’ai été déçue.

C’est comme ça ?

Ce n’est pas ce que je ressens, et je refuse qu’il rentre dans un moule de conformité.

Il mérite plus de représentations pour réparer ses blessures.

Une collection pharaonique pour contrer son excision du même nom.

Un pour chaque femme, chaque fille, chaque garçon.
Oui chaque garçon !
Il pourrait enfin cesser de se demander ce que la fille a fait pour avoir perdu son Zizi ?

Il est bien là.

Le Clitoris serait donc un pénis caché qu’il est temps de révéler.

Je veux l’écrire, le gribouiller, le brandir, le compliquer.

À l’inverse de Brancusi qui simplifie tellement la figure féminine qu’elle en devient un Pénis nommé Princesse X.
Ma fille, en voyant cette œuvre dit « Mais, pourquoi pas Princesse XY ? »

Je dois représenter et répéter le Clitoris pour que les hommes puissent ressentir mon désir, le désir d’eux ; aussi fort, aussi varié, aussi banal, aussi original. Comme le leur.

ON ECHANGE ?

Quand vers 9 ou 10 ans ma mère me surprend en train de faire Pipi debout, elle s’écrie « Mais qu’est-ce que tu fais ? »

Ça se voyait pourtant, non ?
Je faisais ma vilaine curieuse, je voulais savoir ce que ça faisait de pisser debout, de viser haut et d’en mettre partout sans lever la lunette.
Comme si cela conférait un pouvoir secret.

Je voulais être comme lui au moins le temps d’un pipi.

Je m’adresse aux hommes parce que je les aime et je les désire. Je veux leur montrer ce que mon organe peut faire ressentir, qu’ils puissent, eux aussi, le temps d’un regard sur une œuvre, rêver leur Clitoris comme j’ai rêvé mon Pénis.

Parce qu’Homme, Femme, ou tout Être traversant les genres, nous sommes liés par le désir et le plaisir d’être, le désir et le plaisir d’être désiré.

Et cela peut passer par l’organe caché, un iceberg dont on n’a pas imaginé la partie immergée.

Le hurlement d’identité passera par le Clitoris affiché.

Quel plaisir de le coller dans la figure de ceux que cela dérange, autant qu’un téton sur la toile ou qu’un pénis en érection.

En Art, il me plait de prendre la liberté de représenter.

Ce texte se noie dans la complication, car pour l’instant, simplifier une pensée complexe, un amalgame de liens, me semble encore une excision.

Mais j’ai encore besoin d’ajouter un dernier point sur cette Série .

LA VOIX ET L'ART.

Aujourd’hui, le patinage artistique tremble des révélations, le Cinéma est en révolution.
Les féminicides commencent tout juste à être reconnus, c’est encore la phase du comptage.

Comme s’il faillait un nombre suffisant d’horreurs pour les faire cesser.

Mais toutes les femmes et tous les hommes abusés ne peuvent pas exhiber leur souffrance.

Ce n’est pas une question de genre ou de sexe, c’est une question de pouvoir.

Mes Clitoris seront aussi la voix de celles et ceux qui se taisent, qui dans la discrimination, la solitude, la pression, ne peuvent envisager une révélation publique de leur souffrance.

Parce qu’ils ou elles ne veulent pas être noyés dans la masse des mises au jour. Parce qu’ils ou elles veulent peut-être protéger le peu qu’il reste de leur dignité.

Non pas par manque de courage ou par lâcheté, bien au contraire.

Parce que toutes les violences ne peuvent pas être dites.
Le silence est aussi liberté.

Comme le plaisir du désir, le silence n’est pas coupable, il crie parfois.

La Série des 69+4 en sera aussi la voix.
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